Des entrailles menaçantes, (Colombie 2020).
14 octobre 2025
Merci François.
2 novembre 2025
Des entrailles menaçantes, (Colombie 2020).
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Le 20 Juin 2008, j’atteins Mopti, surnommée « la Venise du Mali ». La ville de Mopti s’étend au confluent majestueux du Niger et de son affluent le Bani. La ville tire son dynamisme de cette position stratégique. Véritable carrefour fluvial, elle voit transiter chaque jour marchandises et voyageurs. Mopti est aussi le théâtre d’une intense activité artisanale, sur les rives du fleuve, de nombreux chantiers navals s’animent, où des pirogues prennent forme sous les mains expertes des artisans locaux.

À partir d’ici, il me faut renoncer temporairement vélo. Le sable, devenu roi, m’interdit de suivre le cours du Niger autrement qu’à bord d’une pinasse.

Un accord conclu la veille avec le propriétaire d’une embarcation me conduit à me présenter au port à l’heure convenue qui, comme il se doit, sera repoussée de plusieurs heures, le temps, m’explique-t-on, de charger un maximum de marchandises afin de rentabiliser au mieux ce voyage.

Sur le pont, s’empilent des sacs de maïs et de soja, frappés du sigle « USAID » et de l’avertissement : « Ne doit être ni vendu ni échangé. » Pourtant, on me confie qu’ils le sont bel et bien pour couvrir, dit-on, les frais de transport et les commissions d’une chaîne d’intermédiaires dont nul ne semble vraiment connaître la fin.

Juste avant le départ, le capitaine s’engage dans une vive discussion avec un policier venu réclamer son dû : un bakchich sans lequel nul navire ne quitte les rives. Il est fort probable que ce « supplément » soit donc répercuté sur le prix des marchandises…

Enfin, après neuf heures d’attente, la pinasse se détache lentement du quai de Mopti.

À peine avons-nous pris le large qu’un premier poste de police nous impose un péage. Un peu plus loin, ce sont les gendarmes qui réclament leur commission. Chacun son tour, chacun sa part.

Pendant ce temps, un piroguier fend les eaux pour proposer aux passagers quelques mangues savoureuses. Une femme s’affaire près d’un feu de fortune : elle prépare le premier repas de cette traversée qui va durer cinq jours.

Par moments, l’embarcation s’immobilise, prisonnière d’un banc de sable. Alors surgissent des hommes munis de longues perches de bambou. Ils poussent, grognent, s’arc-boutent contre l’invisible résistance du fleuve. Les muscles se bandent, les perches ploient sans rompre, et, après de longues minutes de lutte silencieuse, un frémissement parcourt le bateau. Il bouge enfin, comme arraché à une torpeur.

Au fil du fleuve, j’aperçois sur ses rives quelques villages épars. Des enfants rient et s’ébattent dans l’eau pendant que leurs mères, agenouillées, lavent le linge ou la vaisselle avec des gestes lents et assurés. Un peu plus loin, quelques pêcheurs, silhouettes immobiles, guettent le moindre frémissement à la surface.

À la tombée du jour, nous accostons pour passer la nuit sur la berge. À peine installés, une nuée de moustiques fond sur nous, vite dispersée par une brise soudaine venue du fleuve.

Au petit matin, notre embarcation reprend sa course. À l’avant de la pinasse, un homme se poste avec une longue perche, sondant prudemment la profondeur de l’eau.

Au passage du lac Débo, j’aperçois des hippopotames, massifs et paisibles, émergeant à peine de la surface, comme des pierres vivantes.

Soudain, une autre pinasse nous coupe la route, dans un fracas de cris et d’ordres lancés par notre capitaine. La collision est inévitable : notre proue heurte l’autre embarcation, y laissant un morceau de bois arraché. Par chance, aucune voie d’eau n’est à déplorer.

Puis, apparaissant au loin comme une vision d’un autre temps, s’étendent d’immenses campements Peuls. À perte de vue, leurs troupeaux parsèment la plaine. Loin de l’agitation du monde moderne, les Peuls, éleveurs nomades ou semi-nomades, suivent la cadence millénaire de la transhumance, guidés par la hauteur des eaux et les caprices du fleuve.

Au milieu des rires d’enfants et de l’agitation simple du village, une jeune femme, d’une beauté troublante, surgit soudain d’une hutte, me laissant un instant figé, stupéfait de la voir apparaître en un lieu où je n’aurais jamais cru croiser pareille vision.

Quelques jours plus tard, nous atteignons enfin Tombouctou, cette ville mythique dont le seul nom, depuis des années, exerce sur moi une fascination étrange, presque magnétique.

Pendant des siècles, elle attira explorateurs et aventuriers, assoiffés de légende autant que de gloire. Certains y trouvèrent la renommée, d’autres, la mort. Gordon Laing fut le premier Européen connu à pénétrer dans la cité, en 1826. Pris pour un espion, il y fut assassiné peu après son arrivée. Deux ans plus tard, en 1828, un Français du nom de René Caillié parvint à son tour à franchir les portes de la ville interdite. Déguisé en musulman et parlant l’arabe, il parcourut à pied de longues distances à travers la Guinée et le Mali, achevant son périple exténuant en barque. L’exploit fut immense, mais le prix en fut lourd : affaibli par les maladies contractées au cours du voyage, il mourut une dizaine d’années plus tard.

Aujourd’hui, Tombouctou semble avoir perdu une grande part de son aura légendaire. Le temps et les hommes l’ont désenchantée. La ville s’enlise peu à peu dans les sables du désert, comme si celui-ci, jaloux de ses secrets, cherchait à enfouir à jamais ce qui fut jadis l’un des centres les plus rayonnants de la région.