Calendrier 2020 Cyclonomade
25 novembre 2019
Chronique 15 : Au fil de ma route guatémaltèque.
26 novembre 2019
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Chronique 16 : Au cœur de l'Amérique centrale

En entrant au Salvador, je sais que je vais devoir avancer sans trop lézarder afin d’enchaîner avec le Honduras et le Nicaragua dans le délai qui m’est imparti par les autorités. De plus, dans le but de ménager mon corps fatigué en raison d’une diarrhée persévérante, j’opte pour la route du littoral, beaucoup moins vallonée. Je croise un cycliste Italien qui me mets en garde sur la mauvaise situation actuelle du Nicaragua, pays où selon ses dires, il ne se sentait pas en sécurité en raison de nombreuses manifestations anti-gouvernementales sévèrement réprimées par les autorités. On y comptabilise de nombreuses victimes.

La chaleur étouffante ne fait qu’empirer mon état de faiblesse. Alors que j’avale le contenu d’une noix de coco dans une gargote, quelques chiens faméliques me tournent autour en quête d’un reste de nourriture. Leur maigreur est si marquée que sous leur peau, on distingue aisément les détails de leur squelette.

Le contraste est grand avec le Guatemala au niveau des couleurs. Les femmes ne portent pas, contrairement à leurs voisines, les tenues bariolées traditionnelles. Du coup, tout parait un peu moins gai mais cela est aussi lié à mon état. Je multiplie les arrêts forcés en quête de toilettes. Je roule mon regard fixé sur le ruban d’asphalte. Mon moral n’est pas au beau fixe et ma vision des zones traversées s’en ressent.

J’aperçois au loin des cônes volcaniques dont je ne m’approche pas, ma faiblesse actuelle m’en dissuade. Au cours de mes arrêts, certains autochtones me font part de la situation catastrophique du pays en termes de sécurité. Les gangs règnent en maître et dictent leur loi. Les Maras contrôlent le territoire. Des vendeurs ambulants ne se risquent pas à aller dans certains villages voisins sous peine d’y trouver la mort. Des petits commerçants sont régulièrement rackettés. Tout le monde se sent impuissant devant ce fléau qui dure. Une partie de la population cherche refuge dans la religion. J’aperçois à plusieurs reprises des processions qui témoignent de la ferveur des habitants.

En quelques jours je traverse donc le Salvador et enchaine par le Honduras. Je suis conscient de passer à côté de l’âme de ces pays en raison d’une part de mon état et d’autre part de la durée de séjour autorisée.

Je décide tout de même de monter dans la capitale hondurienne. Jusqu’à Tegucigalpa je roule sur une route magnifique et flambant neuve. Ma diarrhée ne s’améliore pas et l’ascension m’est pénible. Voilà presque un mois que ça dure. Je me décide finalement à prendre un traitement antibiotique que jusque-là je me refusais de débuter, pensant que mon organisme allait réagir, comme à son habitude. Mais je ne peux faire abstraction de mon opération en Afrique. Peut-être vaut-il mieux être prudent ! A la fin du traitement qui coïncide avec mon départ de Tégucigalpa je sens enfin une amélioration. Pendant plusieurs semaines je ne pouvais quasiment rien avaler et voici qu’enfin je peux savourer quelques plats basiques. Au fur et à mesure mes forces reviennent. Les montées me paraissent moins ardues et mon regard s’élève enfin au-dessus du bitume…le moral est bien de retour.

C’est alors que j’atteins la frontière du Nicaragua. La situation politique du pays est en ce moment très difficile. Des manifestations anti-gouvernementales sont réprimées dans le sang. On me met en garde sur les barrages que je vais trouver sur la route. J’envisage cependant un itinéraire qui me permettra d’éviter les grandes villes où sont concentrées les plus grandes manifestations.

Les douaniers font preuve d’une remarquable lenteur. Ils me posent à plusieurs reprises les mêmes questions. Pendant un moment je pense même qu’ils vont me refuser l’entrée. Je reste calme et leur parle football, cela détend généralement l’atmosphère et ce sera encore le cas aujourd’hui. Finalement, après de nouvelles mises en garde de leur part, m’invitant à ne surtout pas me mêler de politique dans le pays, on me laisse entrer.

Dès les premiers kilomètres je suis très agréablement surpris par la propreté des bas-côtés de la route qui dans les pays précédents ressemblaient souvent à un dépotoir. Je m’arrête manger dans une gargote où tout est propre. Les aliments exposés font envie. Lorsqu’une télévision est branchée les clients suivent minutes par minutes l’évolution des évènements à Managua ou Masaya sur une chaîne d’informations en continue. Les gens qui me parlent de la situation soutiennent les manifestants. Ils demandent la démission du président Daniel Ortega et de sa femme, la vice-présidente. Ils en ont assez de ce couple qui tient le pays. Ils déplorent tous les violences et les morts dont la liste ne cesse de s’allonger.

La route s’avère d’un calme absolu en raison des barrages qui bloquent la circulation. Du coup le bitume est à moi. Lorsque j’arrive à un barrage, je dépasse la file de voitures et poids-lourds qui sont bloqués. On me laisse passer tout comme les piétons et autres cyclistes locaux. Je ne me sens nullement en insécurité, cependant en m’approchant de la frontière du Costa Rica je note une tension accrue sur certains barrages où j’aperçois des hommes en arme. Certains ne quittent pas leur cagoule et rackettent les véhicules. A un barrage on rackette même les piétons, la plupart du temps de simples paysans pour qui chaque sou compte. Mais ils n’ont pas le choix. Lors d’une pause-café, des routiers me disent que sur certains barrages il y a des gens qui n’ont rien à voir avec le conflit et ne font que profiter de la situation quelque peu anarchique pour se faire un peu d’argent. Nulle part on ne me causera le moindre problème. Partout je passe sans avoir à répondre à la moindre sollicitation.

Un matin, alors que je viens de passer une nième nuit dans mon hamac, je suis réveillé par un puissant et disgracieux beuglement. J’entends en effet un grand « meuh » dans mon oreille et me réveillant en sursaut j’aperçois à quelques centimètres le museau d’une vache. Quelques dizaines de minutes plus tard son propriétaire arrive pour traire ses bêtes. Il m’offre ensuite du lait tout chaud que je mélange à mes céréales…la vie m’est douce !

Puis me voici au Costa Rica pays que je sais beaucoup plus touristique. Une longue ascension me mène au travers de plantations d’ananas, puis de café vers le volcan Poas où j’étais passé en 2010. Mais cette fois je resterais à distance car son accès est interdit depuis son éruption de l’an passé. Je me contente de savourer l’écrin de verdure dans lequel je me trouve.

A San José, la capitale, je sais que la fin de mon parcours « Cyclonomade » est proche. Je me sens apaisé d’avoir partagé ma décision de mettre un terme à ce parcours de vie. Quelques semaines me séparent encore de mon arrivée en France. D’ici là, je vais tenter de vivre pleinement cette période particulière que je sentais poindre depuis quelques temps.