Chronique 16 : Au cœur de l’Amérique centrale
26 novembre 2019
Projection : « Les rayons de la liberté »
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Chronique 15 : Au fil de ma route guatémaltèque.

Il est toujours intéressant et même parfois surprenant de connaitre la vision du monde des gens que l’on croise. En sirotant un café dans une station-service, je converse un bon moment avec le jeune caissier qui visiblement se tient informé de l’actualité mondiale. Cependant, comme c’est parfois le cas, certaines informations sont soit déformées, soit relèvent du pur fantasme entretenu par des échanges entre amis, emplis de rêves et de quête d’ailleurs. Ainsi, le jeune homme m’affirme que l’Islande manque cruellement d’hommes et que pour remédier à cette insuffisance, le pays donne de l’argent à ceux venus s’installer et se marier avec une belle Islandaise… Je nuance ses propos tout en laissant néanmoins une part au doux rêve.

J’atteins ensuite la bourgade de San Cristobal Veracruz, un jour de marché. Il y en a trois par semaine. Il y est difficile dans certaines ruelles de se frayer un chemin tant les marchandises envahissent la chaussée. Un flot ininterrompu de gens aux tenues colorées ruissèlent entre les étals. On trouve une quantité phénoménale de fruits, légumes, fleurs, volailles, vêtements ou chaussures. Ma présence intrigue un peu parfois, mais les sourires et la gentillesse sont une constante pour mon plus grand bonheur.

Les ascensions sont toujours aussi ardues. Je multiplie les pauses. J’atteins la ville d’Uspantan au milieu d’une fête qui va durer plusieurs jours. Une foule bigarrée occupe les rues dans lesquelles un joyeux défilé se meut au son de musiques appropriées aux thèmes choisis par les différentes écoles. Les enfants sont heureux et fiers, les adultes admiratifs. Je décide de passer une journée supplémentaire dans la ville. Le lendemain, le défilé fait place à une multitude de vendeurs. Durant la fête toute circulation est interdite en centre-ville. Je note la présence de quelques familles visiblement très modestes qui déambulent regroupées, comme pour ne pas se perdre. Tous se tiennent par la main et semblent quelque peu apeurés. Les enfants dévorent des yeux gadgets et confiseries qui trônent sur les étals. Sans un mot, ils semblent sous le choc devant cette affluence de marchandises. Probablement ne viennent-ils que très rarement en ville. Je ressens en moi comme un malaise en pensant qu’il doit être bien difficile pour ces enfants de juste observer et pour les parents de devoir dire non aux sollicitations par manque d’argent. Néanmoins, je ne vois pas de pleurs, juste de la stupéfaction.

Sur une bâche bleue déposée à même le sol, un homme vend des blousons. Je l’avais déjà remarqué hier. Il ne cesse de s’égosiller en répétant sans interruption : « chalecos, chalecos… ». Je me demande combien de fois il va prononcer ce mot au cours de ces quelques jours… Plusieurs dizaines de milliers, c’est certain.

La journée suivante enveloppe les collines environnantes dans une brume épaisse. Les paysans travaillent leur lopin de terre. La saison des pluies débute et les gens s’affairent dans les champs. La campagne est vivante. Quelques chiens m’aboient et esquissent parfois un début de poursuite. A un moment, un gros coquin semble plus déterminé mais voilà que surgissent deux chiots pour prendre ma défense. La scène est hilarante.

Après la bourgade de Cunen j’atteins un barrage de grévistes. Ces employés municipaux en sont à leur sixième mois de conflit. Abus de pouvoir, corruption, tels sont les maux qui touchent leur municipalité. Je passe un moment en leur compagnie puis poursuis ma route. Les véhicules sont quant à eux bloqués sur plusieurs kilomètres.

A plusieurs reprises je discute avec des gamins de onze ou quatorze ans qui ne sont pas scolarisés. La plupart du temps, ils aident leurs parents dans les tâches quotidiennes.

Le parcours qui me mène sur le bord du lac Atitlan est fortement accidenté et les paysages sont sublimes. Si j’anticipe quelques averses, il m’arrive parfois de me laisser surprendre. Dès lors la froideur de l’eau sur mon corps dégoulinant de sueur me refroidit et me fait claquer des dents. Les volcans qui entourent le lac Atitlan lui confèrent une beauté exceptionnelle. Je savoure ce lieu bien que très touristique. Mais je ne souhaite pas m’y attarder car il est évident que l’afflux de « gringos » entraine une hausse des prix et une perte d’authenticité. De plus, comme dans de nombreux lieux de la sorte, nombre de bars et restaurants sont propriété d’étrangers. En mangeant dans une gargote de campagne, je suis au moins certain que l’argent va directement à la famille qui la tient.

Je file ensuite à Antigua, autre endroit touristique d’une grande beauté. Son patrimoine colonial est splendide. Je présente une petite conférence à l’Alliance française locale où je suis aimablement reçu. Je profite de l’endroit pour faire une petite révision de mon vélo.

Les trois jours qui suivent mon départ s’avèrent très difficiles. J’ai une violente diarrhée qui m’empêche de dormir. Trois jours sans manger au cours desquels mes forces s’évaporent. Je ne peux qu’avaler du liquide. La moindre petite inclinaison de la route me semble un véritable col himalayen. C’est une des rares fois où un problème de la sorte dure aussi longtemps. Alors que je m’arrête souffler et boire dans une ferme, le propriétaire me concocte une infusion à base de plantes médicinales qu’il cultive lui-même. En feuilletant le journal j’apprends qu’au cours des quatre premiers mois de l’année il y a eu 1355 homicides au Guatemala soit plus de 11 meurtres par jour. C’est un véritable fléau qui touche également le Mexique, le Salvador, le Honduras… Les gangs des Maras y imposent leur loi. Il s’agit souvent de règlements de compte entre gangs mais aussi de racket sur la population. Les gens avec lesquels j’aborde le sujet semblent totalement résignés.

L’infusion semble produire un effet positif sur ma débâcle gastrique. J’arrive à la frontière du Salvador où je retrouve une longue file de poids-lourds. Malheureusement le service d’immigration me rappelle que les 90 jours accordés au Guatemala incluent mon séjour au Salvador, au Honduras et au Nicaragua. J’en perds le sourire car cela m’oblige donc à beaucoup moins lézarder dans les trois pays qui viennent. Qu’il était pourtant agréable d’avancer sans avoir à se préoccuper d’un calendrier !