
Saqqarah.
5 mai 2025
En remontant le Nil.
23 mai 2025Je me désamarre enfin de la ville du Caire. Une vingtaine de jours durant lesquels j’ai pu renouveler un peu de matériel, proroger la durée de mon séjour en Egypte auprès des autorités compétentes et enchaîner les balades au hasard des quartiers et rues de cette cité tentaculaire.
Je repars donc fringant en ce mardi matin vers de nouveaux horizons, avide de mouvement et assoiffé de nouvelles découvertes.
Ayant mémorisé au préalable mon itinéraire afin de sortir de la ville sans trop de difficultés, les premiers kilomètres se déroulent plutôt bien. Je me dirige vers le site de Dahchour que je souhaite visiter en cette journée de reprise.
Je m’aperçois soudain que je suis déjà suivi par un véhicule de police. Je m’arrête afin de les informer de mon intention d’aller voir le site. Ceux-ci me suivent quelques centaines de mètres avant que je ne bifurque pour atteindre la billetterie.
Dans la rue menant à celle-ci, je suis illico assailli par des grappes de gamins criant très fort et presque agressivement : « money, money, give me money » ! Certains tentent même d’arracher des objets sur mon porte-bagage arrière. Tout cela se fait sous le regard d’adultes impassibles. Il y a bien longtemps que je n’avais pas vécu cela, surtout avec un tel niveau de hargne.
Arrivé à la billetterie, sans doute n’avais-je pas ma dose car la police m’immobilise longuement. On m’interdit dans un premier temps d’aller sur le site à vélo, alors que les véhicules motorisés n’ont aucun souci. On commence la fouille de mes sacoches mais vu la lenteur et la mauvaise volonté évidente que je mets à défaire et refaire l’inventaire du premier sac, ceux-ci renoncent aux suivants. S’ensuivent alors de nombreux appels téléphoniques. Puis à mon grand soulagement, je peux finalement y aller.
Je roule entre la pyramide rouge et la rhomboïdale. Je pénètre dans les deux, chose, vu ma grande taille, plus éprouvante que les précédents kilomètres à vélo. Je discute longuement avec des chauffeurs ayant amené quelques touristes sur les lieux. Je rencontre également un charmant jeune couple suisse venu en vacances pour une quinzaine de jours.
Puis je repars vers la sortie où les policiers me retiennent encore un moment, voulant connaitre ma direction, ce à quoi je leur réponds que je ne la connais pas moi-même.
Une fois retraversée la zone d’action des gamins en furie, je retrouve la petite route que je compte poursuivre encore un peu vers le sud.
De nouveau un véhicule de police me suit. J’opte donc pour ma technique favorite. J’effectue un arrêt tous les deux cents mètres, pour une photo, pour boire une gorgée ou bien juste pour observer le paysage et du coin de l’œil, tenter discrètement de guetter la police. Lorsque je poursuis, j’opère un demi-tour, sans aucune raison, sinon celle de faire croire à un départ en sens inverse. Les policiers entament leur manœuvre avec un peu plus de difficultés en raison des attelages hétéroclites qui circulent ici, des autres véhicules et de l’étroitesse de la route. Lorsqu’ils parviennent à me rattraper je repars en sens inverse dans la bonne direction. Finalement après deux manœuvres de la sorte, ceux-ci semblent renoncer et je poursuis tranquillement en solitaire en quête d’un lieu de bivouac pour la nuit.
J’observe quelques palmiers engageants pour l’accroche de mon hamac. L’endroit parait relativement discret, c’est tout du moins ce que je pense alors. Je cuisine, j’écris mon journal, puis un jeune individu vient étudier mon installation. Il m’explique qu’il est artisan tailleur et qu’il aime beaucoup son métier. Il adore faire ses propres créations et espère pouvoir les commercialiser dans le futur à plus grande échelle.
Jusqu’à une heure avancée de la nuit, je suis réveillé en sursaut à plusieurs reprises par une lampe qui éclaire mon visage. J’ai été repéré et quelques visites s’enchainent. Mon sommeil ne sera pas vraiment récupérateur en cette première nuit de reprise.
Le lendemain me réserve finalement des moments bien plus plaisants. J’ai décidé de suivre des canaux d’irrigations afin d’échapper aux plus grandes routes sur lesquelles la police me remarquerait aussitôt. Sachant qu’en allant vers le sud, je ne pourrais pas me soustraire aux escortes, je tente juste d’en retarder l’échéance.
En même temps, ce trajet me permet de me plonger davantage dans une ruralité que j’affectionne. Si les canaux sont malheureusement souvent emplis de déchet, les champs sont quant à eux bien travaillés. Patates, betteraves sucrières, blé, maïs, choux, luzerne…les lopins d’une terre fertile sont particulièrement soignés par les paysans du coin. La vie bat son plein. Je croise de nombreux attelages tractés par des ânes qui sont visiblement mieux traités qu’en ville. Un jour au Caire, je n’ai pu me retenir d’houspiller un homme qui s’acharnait à grands coups de bâtons sur un vieil âne au dos et aux côtes abîmés par la violence de la bastonnade.
Ici, la vie est plus apaisée et plus « humaine » que dans les grandes cités qui continuent pourtant d’exercer un attrait trompeur auprès de nombreux jeunes.
Je m’arrête boire des jus de canne à sucre ou quelques thés à l’ombre d’arbres bienveillants. Quelques pelles mécaniques curent les canaux. Aussitôt des attelages se pointent pour récupérer une partie des amas de matières organiques en décomposition, afin d’enrichir le sol de leur champ.
Des gens fauchent, stockent en gerbe puis battent le blé qui sèche parfois le long des routes. J’aperçois aussi des paysans qui font bouillir le blé récolté dans de grands chaudrons. D’après ce que je comprends, ils envoient cela dans la capitale.
Le spectacle est animé et me redonne espoir après avoir observé beaucoup de misère dans la ville du Caire.
Les maisons de certains villages, qui bordent le canal disposent d’un espace réservé aux animaux sur la berge à l’arrière des habitations.
Quelques personnes chargent des fanes de betteraves sucrières qui vont servir de nourriture aux animaux. Les gens sont souriants et les contacts faciles. On m’offre à nouveau du thé ou un jus d’oranges pressées.
Je constate en jetant un œil sur ma carte que je suis relativement proche du Nil. Je me dévie afin d’y jeter un œil. Cela s’avère une très mauvaise idée puisqu’au moment où je vais traverser la route principale je suis arrêté par la police. S’ensuivent contrôle de passeport, appels téléphoniques à un responsable…on m’informe alors que l’on va me suivre. Alors que je souhaitais faire preuve de calme, je m’emporte un peu. Je leur exprime toute ma déception. Je m’en veux d’être venu proche du Nil. Je bluffe en leur disant que je retourne au Caire pour quitter l’Egypte. Ils tentent de m’en dissuader avec toujours la même histoire que je ne supporte plus : « C’est pour ta sécurité ». Je reprends mon passeport et leur crie : « L’Egypte, c’est terminé pour moi ! » et je reprends la route en sens inverse. Je trouve rapidement un chemin qui me permet de revenir sur le bord du canal que je suivais ces dernières heures.
A partir de là, le sud redevient mon objectif. Plus de police, juste la vie rurale qui m’accompagne depuis plusieurs jours. Je vais donc certainement devoir jouer au chat et à la souris pendant tout le reste de mon parcours dans le pays. Dommage !
Je ne crois pas si bien dire. Dès le lendemain, après une journée des plus agréable à rouler entre les ânes, ces maîtres des petites routes égyptiennes qui, tête souvent baissée, tractent parfois des charges impressionnantes sous 40° auxquels il faut rajouter quelques coups de bâtons immérités, je suis de nouveau confronté à la maréchaussée.
Dans la ville d’Al Minya, un agent est chargé de me suivre à la trace. Que je veuille aller faire des provisions ou simplement boire un thé, il est sur mes pas, son arme à la ceinture. Le ton monte car je ne supporte pas cela. A tous mes arguments, une seule réponse : « c’est pour ta sécurité ». Je suis totalement désabusé. Alors que je souhaite rencontrer des gens, j’ai sur mes talons un homme en arme qui ne les incite pas vraiment à venir échanger avec moi.
Je passe une partie de la nuit à élaborer des plans dans le but de me défaire de ce « fardeau ».
Idem, le lendemain matin. Le ton monte. Le policier me demande d’attendre, le temps qu’il joigne un supérieur pour savoir ce qu’il doit faire, je ne l’écoute pas et pars dans les rues. Je parviens rapidement à le semer après un échange plutôt vif.
Alors que je bois un café, j’observe un gars en civil dans la salle qui jette discrètement un œil sur moi. Je paie et sors dans la rue, imité par l’homme en question. J’avance puis j’effectue un demi-tour soudain qui embarrasse mon suiveur. Il me laisse passer mais je m’aperçois rapidement qu’il me suit à nouveau. Je vais donc vers lui et après m’avoir dit qu’il n’était pas de la police, il avoue qu’il est chargé de ma protection. Je lui demande alors de me mener voir un responsable. Quelques minutes plus tard je suis reçu par un général de la police touristique. Après discussion, il m’assure qu’ils ne vont plus me suivre de la journée mais ne précise rien pour les jours suivants.
Je vais malheureusement renoncer à la visite de quelques sites où je serais vite repéré et donc à nouveau suivi. Je ne supporte pas cette privation de liberté.
Tout cela m’exaspère au plus haut point. Le plaisir que j’éprouve auprès de la population est gâché par cette présence policière permanente.
Le lendemain matin, la situation s’avère vraiment cocasse. Neuf policiers m’attendent. Une voiture est prête à me suivre. Dès mon départ, elle se colle à moi. Un demi-tour brusque de ma part les oblige à faire de même. Quelques mètres plus en avant j’atteins un rond-point. J’en fais le tour, une première fois, suivi de près par les cinq policiers se trouvant dans le véhicule. Puis j’enchaine par un second tour, un troisième et ainsi de suite jusqu’à dix. Au huitième le véhicule marque une hésitation, mais décide finalement de poursuivre. J’ai pu apercevoir quelques personnes qui riaient sur un trottoir voisin. Après avoir donc tourné dix fois, je m’engouffre dans la rue à la plus dense circulation pour quelques dizaines de mètres plus loin, effectuer un nouveau demi-tour.
A ce rythme-là, l’étape du jour ne va pas être très longue !
Le temps que le véhicule de police parvienne à revenir vers moi, je me suis déjà engouffré dans une petite ruelle de terre, encombrée de carioles ne donnant pas la possibilité à la police de passer. J’enchaine ensuite par de nombreuses ruelles, sans direction précise jusqu’à la sortie de la ville. Impossible pour les policiers de me retrouver. Je file dès lors vers les canaux situés en zone rurale, loin de la route principale.
La journée se poursuit merveilleusement. Je rie tout seul du tour que j’ai joué aux agents venus en nombre pour seulement m’escorter une dizaine de minutes.
Je roule au cœur de champs où les familles s’activent, impressionné par l’activité incessante. Les villages sont d’ailleurs peuplés et vivants. Les parcelles de terrains sont de taille modeste. Aucun gros engin ne se distingue. Ici, des ânes, des gens qui bêchent, d’autres qui récoltent à la main, d’autres encore qui se chargent de contrôler les petits canaux afin que l’ensemble de la parcelle soit parfaitement irriguée.
Je me perds même parfois sur de petits sentiers où aucun véhicule ne peut s’aventurer. Dans les bourgades on m’offre parfois un thé, toujours servi le visage illuminé d’un grand sourire.
Tout cela ne m’aurait pas été possible sous escorte. Tant que mes ruses fonctionnent et que la situation ne s’envenime pas trop avec les agents je vais encore tenter de les « semer » quelques fois.
Je suis frappé par la jeunesse de la population de ces villages égyptiens. Alors que nombre de nos villages Gaulois, sont vieillissants, ici la relève est grandement assurée.











































